POLYNESIE FRANCAISE

                          La chasse au mahi mahi
                                                et
                        les cow-boy du Pacifique















(Grand prédateur appréciant les eaux chaudes, le mahi mahi, également connu sous le nom de dorade coryphère, est un fin chasseur ; il est opportuniste, rapide et efficace)

                                ︎ PHOTOS et ARTICLE par  Suliane Favennec





Pêcher au harpon à bord d’un poti marara… Les Polynésiens ont inventé une façon bien à eux de chasser le mahi mahi, la dorade coryphère. La pratique est récente mais elle est devenue une spécificité locale. 


︎REPORTAGE a Tahiti et Tetiaroa (2015)


Debout dans son poste de pilotage à l’avant du poti marara, les jumelles posées sur les yeux, il scrute l’horizon. Tahiti est derrière lui, Tetiaroa droit devant. Même si ce n’est pas la pleine saison des mahi mahi, qui se déroule plutôt entre septembre et avril, Manutea a repéré non loin de l’île aux oiseaux, si connue pour avoir été le paradis de l’acteur américain Marlon Brando, une zone de courant où ce poisson aime chasser ses proies. Jeune mais déjà expérimenté, Manutea, 26 ans, connaît bien sa cible. Dans ses bons jours, si la saison et la météo sont bonnes, l’homme peut en pêcher plus d’une trentaine. En ce beau jour d’août, le temps est propice à la chasse au mahi mahi. Un vent du nord venant des montagnes, appelé Maramu, souffle aux larges de Tetiaroa. La mer est agitée, le soleil est à son zénith, la houle est longue et les creux atteignent parfois 1m50. Dans le viseur de ses jumelles, le pêcheur repère un oiseau appelé le manu rarahi ressemblant à un fou noir. « Souvent, il quitte le banc d’oiseau avec qui il se balade pour suivre sa proie : le marara, le poisson volant. Il faut bien observer les oiseaux et suivre celui qui s’isole », explique l’homme, concentré sur sa cible. Le poisson volant est l’un des mets préférés du mahi mahi; en suivant cet oiseau, Manutea sait qu’il trouvera son bonheur.





Un rodéo en mer

Grand prédateur appréciant les eaux chaudes, le mahi mahi, également connu sous le nom de dorade coryphère, est un fin chasseur ; il est opportuniste, rapide et efficace. Il faut donc aller très vite pour ne pas le rater. Excité par le marara sautillant sur les vagues, le mahi mahi, qui ne plonge pas à plus de 100 mètres de profondeur, remonte à la surface pourchasser son futur repas. Surfant sur les vagues, il devient visible à l’œil nu même si sa couleur bleue électrique peut le confondre avec la mer.

L’œil aiguisé, Manutea, considéré comme l’un des meilleurs chasseurs du district d’Arue, situé sur la côté-est de Tahiti, ne lâche pas sa proie du regard. De son poste de pilotage où il manie le manche comme un pilote émérite, il prépare son harpon, détend le fil le reliant à l’embarcation et le sort de son attache, prêt à être lancé. La suite se passe en quelques secondes… « Il ne faut pas se précipiter ni paniquer. Tu te places à côté du poisson, là où se trouve le harpon, il ne doit pas se retrouver devant toi sinon tu le perds de vue. Ensuite, tu dois guider ton poisson et le fatiguer au maximum », souligne le pêcheur préférant les actes aux mots. Après quelques instants de course poursuite, le poisson s’épuise, se couche sur le flanc et s’immobilise. Avec un agile lancé de harpon, et en visant toujours la tête pour ne abîmer la bête, le pêcheur attrape le mahi mahi, puis, à l’aide d’une gaffe, le remonte à la surface et le place dans le bateau. Parfois, le combat entre l’homme et sa prise se prolonge à bord du poti marara. Le mahi mahi, dont le poids moyen est de 17 kilos et la taille d’1m80, est un poisson coriace, et sa bosse proéminente, en particulier chez les mâles, peut parfois servir de défense et blesser.
 







                                       

                  “ Il faut rester vigilant car
                                   le mahi mahi
                       se balade avec son harem. ”



Le chasseur chassé

Le mahi mahi est aussi un poisson surprenant, ce dernier change de couleur selon ses émotions : du bleu électrique lorsqu’il est en chasse, il vire au jaune/vert une fois capturé, puis au gris/blanc lorsqu’il se meurt. Mais, Manutea n’a pas le temps de s’attendrir sur la couleur du poisson. « Il faut rester vigilant car le mahi mahi se balade avec son harem. Souvent il est accompagné de deux femelles », prévient le pêcheur remettant aussitôt ses jumelles sur yeux pour scruter les oiseaux au loin. Cette fois, il repère deux autres types d’oiseaux annonciateurs de mahi mahi : le oio, un petit volatille brun survolant le poisson même lorsqu’il est en cavale, et le manu uouo, une sterne blanche pleurant au-dessus du mahi mahi. « Il faut observer la vitesse des battements d’ailes, si elle est lente alors il s’agit de mahi mahi, si elle est rapide, il s’agit le plus souvent de bonites », explique l’expert qui pêchera deux femelles après sa première prise. En réalité, les oiseaux ne poursuivent pas le mahi mahi, bien trop gros pour lui, ils s’intéressent plutôt aux petits poissons que ce dernier chasse : le marara, le auma ou les alvins. Il n’est d’ailleurs pas rare de le croiser sous les coques des frégates, sous les DCP (les dispositifs de concentration de poisson), ou encore près des épaves. « C’est ma technique : aller là où se trouve la nourriture du mahi mahi », confie Marc Tuhoe, dit Mareto, assis sur un siège, dans la poissonnerie de son ami à Arue, un district où la pêche au mahi mahi est courante. L’homme de 69 ans est l’un des premiers pêcheurs de mahi mahi au harpon de Tahiti. 




(Regarder les oiseaux, repérer le mahi mahi, le poursuivre avec son bateau et enfin le harponner...
La pêche au mahi mahi demande agilité, force, détermination... Un véritable rodéo pour des cow-boy des mers)





Une spécificité polynésienne

Avant les années 70, le mahi mahi se pêchait à la traine. Les anciens utilisaient la pirogue, les  pêcheurs l’ont ensuite troqué contre un bateau à moteur. Mais, la véritable apparition de la pêche au mahi mahi telle qu’elle est pratiquée ici en Polynésie française, c’est-à-dire au harpon, est arrivée avec le poti marara. Cette embarcation a été inventée au début des années 60 par un pêcheur d’Arue, spécialiste du marara, le poisson volant. Cette pêche à l’épuisette se réalise la nuit, deux matelots sont nécessaires pour la pratiquer : un conducteur et un pêcheur. « J’étais un peu égoïste à l’époque, je voulais garder le bénéfice de la pêche uniquement pour moi, se souvient Léonard Deane, encore amusé par ce défaut de jeunesse. Du coup, je me suis mis à dessiner un plan de bateau sur papier ». Astucieux, le jeune pêcheur polynésien a donc imaginé un bateau muni d’un gouvernail de type manche à balai situé non pas à l’arrière mais à l’avant de l’embarcation, permettant ainsi au matelot de conduire tout en pêchant. Il l’a également doté d’une coque en V rendant le navire plus rapide, réactif et maniable. Après quelques retours de pêche en solitaire mais très fructueuse, Léonard Deane a décidé à s’attaquer à une plus grosse proie : les bonites ; mais finalement son chemin a croisé les mahi mahi. Lui est alors revenu en mémoire une rumeur «  secrète » se propageant sur l’île depuis quelques mois : grâce au poti marara, certains pêcheurs auraient réussi à attraper le mahi mahi avec un harpon. En se rappelant de cette histoire, Léonard Deane a agrippé son harpon, alors utilisé pour la pêche à l’aiguillette, et visé le poisson. Il en pêchera trois ce jour-là, seize le lendemain, et autant d’autres les jours suivants … La rumeur était ainsi vraie. Et, grâce à radio cocotier, elle s’est propagée un peu partout sur Tahiti avant d’atteindre le reste des Îles Sous-le-Vent. « Quand j’ai découvert cette pêche, j’ai aussitôt quitté mon travail de mécanicien pour m’y consacrer exclusivement », avoue Mareto qui connaît bien Léonard Deane et ses fils, des constructeurs de poti marara. Pêcheur à la retraite, il a longtemps œuvré pour défendre les pêcheurs de poti marara de Tahiti. Suite à son invention, les professionnels ont vite adopté cette embarcation pour se consacrer à la pêche, en particulier celle au mahi mahi avec un harpon.












(Difficile à attraper mais recherché, le mahi mahi est certainement
l’un des poissons les plus chers du marché polynésien)



(Léonard Deane est l’inventeur du poti marara, bateau fait pour pêcher le mahi mahi au harpon. Ses fils ont repris la suite en devenant des constructeurs de ce type d’embarcation, unique en Polynésie française)
Le mahi mahi, un met prisé

Certains pêcheurs polynésiens se sont même spécialisés dans ce domaine. La majorité des « gâchettes » du mahi mahi habitent les côtes des Îles Sous-le-Vent et des Tuamotu/Gambiers. En 2014, les pêcheurs des Îles Sous-le-Vent ont produit pas moins de 96 tonnes de mahi mahi contre 114 pour ceux des Tuamotu/Gambiers. Au-delà de ces zones, il est plus difficile de se procurer un poti marara, le mahi mahi devient ainsi plus difficile à attraper. Réputé pour sa chaire tendre et goûteuse, le mahi mahi est pourtant « le » poisson à chasser. Difficile à attraper mais recherché, il est certainement l’un des poissons les plus chers du marché polynésien. Vendu entre 600 et 800 fcp le kilos sur le territoire, il est peu exporté à l’étranger ; la production étant peu suffisante pour une demande importante. Les hôtels et les restaurants restent certainement les plus friands de ce met. Produit phare de leur menu, le mahi mahi est souvent cuisiné façon steack et accompagné d’une sauce à la vanille. Les locaux, eux, auront plutôt tendance à le griller au barbecue, à le faire bouillir ou encore à le servir cru. De la tête jusqu’aux œufs, tout est consommable et exquis dans ce poisson, prisé des tables polynésiens.













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