POLYNÉSIE FRANCAISE

Nucléaire :
l’île de Mangareva marquée au fer rouge 

 
(Une habitante de Rikitea montre une photo des bombes. Aujourd’hui encore, elle cache cette image qui un temps on affichait fièrement dans les maisons)

            ︎ PHOTOS et ARTICLE par Suliane Favennec




 

    La France a mené 193 essais nucléaire en Polynésie française entre 1966 et 1996. L’archipel des Gambier, situé à près de 1 600 km au sud-est de Tahiti, a été particulièrement touché par les retombées radioactives.





︎REPORTAGE a RIKITEA(2021)





               ︎  « Ici, presque toutes les familles ont une maladie. Ça fait partie de notre quotidien». Assise autour d’une table devant l’entrée de sa maison, à l’ombre d’un grand bougainvillier aux fleurs roses, Monica Paheo a le visage grave. Cette Mangarévienne de 69 ans, marquée par  le “virus” nucléaire tire un triste constat : beaucoup de ses proches, amis et voisins sont tombés malades au fil des ans. Elle-même a développé un cancer de la thyroïde en 2010. Dix-sept ans plus tard, le comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français (CIVEN), crée à la suite de la loi Morin en 2010, a reconnu le lien entre sa pathologie et le nucléaire.






(Monica Paheo sur sa terrasse à Rikitea)









 






Cette mère de famille et grand-mère se rappelle du premier tir, un fameux 2 juillet 1966. Elle était chez ses parents au village de Rikitea, à 424 km du lieu des essais. Un village paisible de pêcheurs où les militaires ont élu domicile lors du CEP (Centre d’Expérimentation du Pacifique). Elle n’était qu’une adolescente à l’époque, mais elle en garde un souvenir immuable. « La maison a tremblé comme si ça allait éclater. Le lendemain, il y avait des poissons pourris sur la plage et on a retrouvé des chèvres et des cochons morts devant la maison d’une famille. J’ai vu des militaires renverser des fûts d’eau en nous disant qu’il ne fallait surtout pas la boire ». En 2013, l’État a reconnu 31 retombées radioactives sur Mangareva. Parmi les plus importantes : le premier tir, Aldebaran, et l’essai Phoebe le 8 août 1971.







(la baie de Rikitea, village principal de Mangareva)











Dès la fin des années 60, les autorités françaises ont bâti des abris de protection sur l’île, qui comptait 570 habitants et quelques centaines de militaires : un hangar en tôle au village de Rikitea pour les habitants et un blochkaus de l’autre côté, à Taku pour les militaires et autres officiels, selon les témoignages de quelques habitants. « J’étais une petite fille, je me rappelle qu’il y avait un cinéma et beaucoup de nourritures dans l’abri. On y restait parfois quelques jours et on s’y s’amusait bien. On nous mettait dans les abris à cause des nuages et pluies radioactives mais ça, je l’ai su après », raconte Tina Pavaouau tout en gardant un œil sur son linge suspendu au fil, menacé par un ciel qui se couvre. Malgré un traitement pour sa thyroïde afin d’éviter un cancer, la quinquagénaire n’a jamais voulu quitter sa terre natale où, 25 ans après l’explosion de la dernière bombe, il ne reste plus aucune trace des abris détruits par l’armée à la fin des années 2000 lors du démantèlement du centre d’expérimentation du Pacifique.



(série de portraits de victimes de maladies dites radio-induite)







(une victime montre sa cicatrice suite à un problème de thyroïde)




On nous mettait dans les abris à cause des nuages et pluies radioactives mais ça, je l’ai su après”













Les images du champignon que les habitants affichaient un temps fièrement dans leur maison ont presque disparu, jetées à la poubelle comme un mauvais souvenir. Un temps, cette image était vendue dans les magasins, comme un trophée, une fierté assumée, aujourd’hui, elles ravivent des plaies encore  ouvertes.

Une partie de l’héritage du nucléaire n’est plus visible mais la population en garde les traces. Une mère décédée des suites d’un cancer du sein, un père malade de la thyroïde, des enfants atteints de gouatres.... Chaque foyer, chaque famille, a son histoire. «La maladie est toujours présente. Une de mes sœurs a la thyroïde et un lupus. Ma mère est morte d’un cancer de l’œsophage et, en 2020, c’est mon père. Il avait un cancer de la thyroïde qui s’est aggravé car il a été empoissonné plusieurs fois par le poisson », explique Maria Mahaa, le regard sombre fixé vers l’une des dernières photographies de son père, posée sur le canapé du salon à la décoration simple et fleurie. 
















(Maria Mahaa pose dans sa maison familiale avec la photographie de son père récemment décédé)























( une ferme de perles sur l’île de Mangareva)




                 



Le poisson, un nouveau poison 

L’empoissonnement au poisson est une réalité de la vie quotidienne des Mangaréviens. La ciguatera appelée aussi la « gratte », une intoxication alimentaire par le poisson de récif corallien, est connue depuis des siècles en Polynésie. « On savait où et quel poisson était mauvais. Mais depuis les bombes, presque tous sont malades. Le poisson, c’est notre plat principal alors beaucoup de gens et même des enfants ont été empoissonnés. J’en ai vu plusieurs vomir et avoir la diarrhée », souligne Monica Paheo chez qui l’inquiétude est palpable. Aujourd’hui, aucune étude scientifique n’a permis de faire de lien direct entre l’augmentation d’intoxication au poisson et le nucléaire. Mais, comme beaucoup de Mangaréviens, Monica Paheo s’interroge :  « Quatre de mes enfants ont développé la thyroïde et une de mes filles a eu un cancer de l’utérus. Mes petits-enfants sont-ils eux aussi en danger ? ».


(le cimetière de Taku, village de l’île de Mangareva)







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