POLYNESIE FRANCAISE

                          Plongée au coeur du                                                                                           du festival des Marquises

(Des artistes marquisiens en route pour le festival des Marquises à Hiva Oa où ils sont attendus pour une prestation de danse)

                                ︎  PHOTOS et ARTICLE par  Suliane Favennec





“Nous voulons représenter avec honneur la culture marquisienne aux côtés des nôtres”



︎REPORTAGE a Hiva Oa (2015)


Du 16 au 19 décembre 2015 s’est déroulé le 10ème festival des Marquises, le Matavaa o te Fenua Enata. Un rendez-vous important réunissant tous les Marquisiens autour de leur culture : danse, sculpture, tatouage... Reportage au sein d’une troupe d’artistes : Taki Toa.

L’obscurité de l’horizon se dissipe pour laisser place à une lueur rosâtre apparaissant au loin. Presque imperceptible, cette lueur se rapproche lentement comme si elle venait réveiller un monde encore ensommeillé. Soudain, ce qui ressemble à une tête, tombant à pic dans une eau d’un bleu profond, émerge de la brume encore fraîche de la nuit. C’est le pied d’une falaise de l’une des six îles de l’archipel des Marquises : Fatu Hiva, écriture erronée du nom traditionnel Fatu Iva. L’instant est magique, le moment intense. Il nous plonge dans la peau des premiers explorateurs découvrant les îles de cette terre surnommée la Terre des Hommes, Fenua Enata. Seul notre navire rappelle qu’en réalité nous sommes au XXIème siècle, 500 ans avant la découverte des Marquises par l’Espagnol Alvaro de Mendana le 21 juillet 1595. Comme nous, le navigateur espagnol vit d’abord Fatu Iva, mais il ne débarqua pas faute d’un mouillage sûr. Comme lui, nous ne débarquerons pas non plus.









En route vers le festival

Le Tahiti Nui, navire de la flottille administrative du gouvernement, est spécialement affrété pour transporter les délégations marquisiennes participant au 10ème festival des Marquises. Parti de Tahiti avec une centaine de passagers à son bord - les artistes de deux troupes de la délégation de Tahiti -, il doit également embarquer les 122 passagers de Fatu Iva. Ensuite, il emmènera tout ce joli monde sur Hiva Oa, l’île d’accueil de l’événement, l’île où vécurent Jacques Brel et Paul Gauguin. Puis, le bateau repartira chercher les autres délégations de Ua Pou, Ua Huka et Nuku Hiva.

En attendant, accoudée au garde-corps du bateau, une jeune femme à la chevelure brune s’émerveille à la vue de ce paysage unique. Heeana, 22 ans, est originaire de Ua Pou mais elle vit à Tahiti depuis quelques années. Elle y a déménagé avec sa famille afin de poursuivre ses études. Cette jolie marquisienne à la silhouette athlétique découvre pour la première fois Fatu Iva. « Dommage qu’on ne puisse pas débarquer car j’aurais aimé visiter l’île », regrette-t-elle, tout en restant ravie de voir enfin la terre après deux jours et trois nuits de navigation. Heeana fait partie de la troupe Taki Toa, elle a embarqué à Tahiti pour rejoindre le festival des Marquises par la mer. Elle a fait le voyage avec une partie du groupe, composé d’une soixantaine d’artistes marquisiens vivant à Tahiti connus pour produire des spectacles de danse dans les grands hôtels.


(Les artistes de la troupe Taki Toa font leur show et une démonstration de force lors du festival des Marquises)



Représenter sa culture

Danseuse, chanteuse… Heeana vit pleinement sa culture. Avec sa cousine Mina, également danseuse dans la troupe, elles ont été les boutes en train du voyage à bord du Tahiti Nui. Les demoiselles ont profité de ces longues heures passées en mer pour répéter des pas de danse et jouer du ukulele, instrument typique de la Polynésie. « On veut que notre prestation soit parfaite pour le festival. C’est important pour nous, car même si nous vivons à Tahiti, loin de chez nous, nous respectons et vivons notre culture. Nous voulons représenter avec honneur la culture marquisienne aux côtés des nôtres », affirme Heeana, fière de ses racines. Le festival des Marquises, d’une durée de quatre jours, se déroule tous les quatre ans dans l’une des grandes îles de l’archipel. Il a pour objectif de réunir tous les Marquisiens autour de leur culture. C’est aussi un moyen pour ces hommes, ces femmes, ces enfants, de se réapproprier une culture en partie détruite par le temps et l’histoire.







                       “Ca fait chaud au cœur
d’être reçue par les siens
comme cela”

- Mina, danseuse


(En haut : un artiste de l’île de Pâque. En bas : une jeune danseuse des Marquises)


Retrouvailles émouvantes

Depuis sa création en 1986, l’évènement est appelé Matavaa par les Marquisiens, ce qui signifie « éveiller ». A l’époque, les organisateurs voulaient pointer l’urgence pour la culture marquisienne de se réveiller si elle ne voulait pas disparaître. Aujourd’hui, c’est chose faite : même s’il reste encore beaucoup à redécouvrir, tout un pan a déjà été ravivé. Et, on le sent dès le premier pas posé sur Hiva Oa. A l’arrivée des délégations par la mer ou par les airs, les habitants de l’île ont fait résonner jusqu'au fond des vallées les pahu, ce tambour traditionnel sculpté dans du bois et recouvert d’une peau de vaches séchée. L’instrument est reconnu pour sa puissance sonore. Pour autant, il n’a pas étouffé les voix fortes et aigües des femmes accueillant les nouveaux venus du traditionnel « mave mai », mot de bienvenue marquisien. « Ca fait chaud au cœur d’être reçue par les siens comme cela », confie Mina émue.

Comme les milliers d’autres danseurs, musiciens ou artistes marquisiens débarquant sur Hiva Oa, elle aura l’honneur d’être accueillie par Humu Kaimuko, le plus jeune président jamais élu à la tête du Comothe, le comité organisateur du Matavaa. Cette figure locale de la culture marquisienne connaît bien les Taki Toa pour avoir dansé avec la troupe à plusieurs reprises lors de ses séjours à Tahiti. « Ils sont nos représentants extérieurs. Ils dansent parfois jusqu’à quatre fois par semaine devant les touristes, alors que nous, qui vivons aux Marquises, nous ne le faisons que deux ou trois fois par an. Leur participation est donc primordiale », confie l’homme à l’impressionnante chevelure brune et aux multiples tatouages marquisiens. Vêtu de auti, une plante sacrée et très répandue en Polynésie française, Humu Kaimuko ressemble à ses ancêtres, on le croirait sorti de ces légendes guerrières dont on entend si souvent parler aux Marquises.


Retour aux sources

Pour cette dixième édition, le président du Comothe a exigé des délégations de se présenter en costume traditionnel lors de la cérémonie d’ouverture, c’est-à-dire un costume auti. Une manière de respecter le thème de cette année : «haahua i te tumu », le retour aux sources. « Depuis des années, on constate beaucoup de dérive lors du festival. On retrouve des danses maori dans nos danses marquisiennes, ou du fanta et du coca lors du grand kaikai, le repas traditionnel … Cela devait changer ! », explique Humu Kaimuko, ravi de constater que les délégations ont joué le jeu. Les Taki Toa aussi. Logés au Centre scolaire publique d’Atuona, village principal du Matavaa, danseurs et musiciens de la troupe ont consacré les dernières heures avant le début du festival à confectionner et perfectionner leur costume. Certaines danseuses ont choisi de respecter le thème jusqu’au bout en se privant de soutien-gorge sous leur collier de auti.

L’initiative a été saluée par le reste de l’équipe des Taki Toa, équipe dirigée par Arnold, le vice-président, et deux membres d’une grande famille d’artistes de Ua Pou : Varii, le président, et Siméon Huuti, le chef de troupe. Ces derniers ont souhaité que les garçons portent des bracelets aux jambes et aux bras, et les filles une jupe et un soutien. « J’aurai préféré quelque chose de plus fini mais nous avons manqué de temps. », regrette Siméon aidant sa fille adolescente à finaliser la taille de sa jupe en auti. Son fils est également danseur de la troupe. Pour les Huuti, comme pour le reste des Taki Toa, la culture est une histoire de famille.







(Les artistes de la troupe Taki Toa comprend de talentueux tatoueurs, qui font ici une démonstration de tatouage traditionnel, une pratique qui se perd)



Se retrouver en famille


Enfants, adolescents, jeunes adultes, parents, mammas… Toutes les générations sont présentes, il s’agit souvent de frères, de sœurs, de cousins, de tantes, de neveux… « Nous sommes une grande famille, nous devons donc nous respecter les uns les autres », aime rappeler le vice-président, qui a lui aussi sa femme et ses deux enfants dans la troupe. Installés au Centre avec un autre groupe de Tahiti Te Toa Vi Fenua et la délégation de Ua Huka, les Taki Toa se partagent une salle vide et un préau ; la salle est réservée aux filles et le préau aux garçons, question de galanterie. Pour éviter tout malentendu ou chamaillerie, chacun a un rôle au sein de cette grande famille : le responsable des garçons, celui des filles, celui des instruments, celui des tickets pour le ma’a (le repas), celui de la vie sociale etc. C’est toute une vie en communauté qui s’organise. Et, chez les Marquisiens comme chez tous les Polynésiens, l’entraide est importante. Si le voisin a des difficultés à terminer son costume, on viendra lui prêter main forte. Il en va de même pour les répétitions ; même s’il y a parfois des contrariétés ou des reproches, chacun écoute et encourage.

Parfois, dans la cour du Centre, cachés sous un arbre, à l’ombre du soleil, on aperçoit des visiteurs : de simples badauds ainsi que des artistes des autres délégations. Ils viennent assister aux répétitions, par curiosité mais aussi pour saluer leurs « frères » et passer un moment ensemble. « C’est ça aussi le Matavaa. On y participe pour renouer avec nos racines mais aussi retrouver nos frères », confie Siméon. Il a d’ailleurs invité son ami Cyril originaire de Tahuata, l’île la plus proche de Hiva Oa, à participer à leur show. Accompagné de son fils, Cyril sera le porteur des outils de tatouage dont le groupe aura besoin pour sa prestation prévue le deuxième soir du festival. L’homme, tatoué par Siméon de la tête au cou, impressionnera le public par son allure de guerrier ressemblant à ceux du livre de Karl Von Den Steinen, cet explorateur allemand qui découvrit le tatouage marquisien à la fin du XIXème siècle et en tira un ouvrage détaillé sur sa symbolique.  























“C’est ça aussi le Matavaa. On y participe pour renouer avec nos racines mais aussi retrouver nos frères ”




Renouer avec le tatouage



C’est justement sur ce thème que les Taki Toa ont souhaité se présenter au festival. D’abord parce qu’un certain nombre des membres de la troupe sont tatoueurs, comme Siméon et son frère Efraima dont la réputation n’est plus à faire sur le territoire. Ensuite, parce qu’il est important de faire perdurer cette tradition disparue suite à l’interdiction de sa pratique par les missionnaires à la moitié du XIXème siècle. Ainsi, Siméon a organisé une démonstration de tatouage traditionnel lors du troisième jour de festivité. Elle rencontrera un franc succès auprès des touristes comme des locaux. Pour mener à bien sa prestation, l’artiste, habillé de sa cape de chef en plumes de coq rouge, s’est aidé de Mate, un grand tatoueur spécialiste exerçant sur Moorea, île sœur de Tahiti. Deux jeunes danseurs, et apprentis tatoueurs, lui ont servi d’assistant pour étirer la peau du tatoué.

Les Taki Toa ont également fait du tatouage le thème de leur spectacle avec la légende de Ikioani, la déesse du tatouage. Voici ce qu’elle raconte… Ikioani provoque le courroux de son frère Tahamatakee en refusant de le tatouer. Pour la punir, ce dernier lui vole alors ses instruments … Furieuse, elle jette un sort sur ses instruments rendant désormais le tatouage douloureux ; si bien que, lorsque Tahamatakee tatoue un chef marquisien, ce dernier est mourant. Convaincu par son frère de lui venir en aide, la déesse accepte de soigner le malheureux avec du noni. Le message à retenir de cette légende : les maîtres tatoueurs doivent agir comme l’a enseigné la déesse. L’esprit de Ikioani se trouvant toujours dans la maison du tatouage pendant l’intervention, il est de tradition de sacrifier un cochon au début de la cérémonie. Les Taki Toa ont d’ailleurs fait sensation le soir de leur show en entrant sur scène avec un cochon, les pattes accrochées à un bâton en bois, prêt à être sacrifié. Ils n’en feront bien-sûr rien …




(La troupe Taki Toa en pleine répétition avant le grand soir du spectacle : on finalise les pas de danse et la musique, on finit les costumes)


La puissance du mana

Si le thème a séduit les nombreux spectateurs, c’est la prestance des danseurs qui les a conquis. Des corps musclés et tatoués, l’allure virile, des voix à réveiller les tupuna  -les anciens- , les garçons de la troupe représentent parfaitement le toa, le guerrier marquisien. Une fois en action sur le Tohua Pepeu, ce lieu dédié à la danse lors du festival, plus rien ne semble leur résister. Ces toa et leurs guerrières sont habités par leur culture et communiquent avec leurs ancêtres. « Quelque chose de puissant se passe une fois sur scène. C’est le mana qui parle », confie Siméon épuisé après avoir mené sa troupe durant une heure sur le Tohua Pepeu. Un lieu important car gardé par des tiki. « Nous dansons devant nos tupuna, ils nous regardent !», précise le chef de troupe qui, pour ne pas les décevoir, est allé dès son arrivée demander conseil aux tuhuka, ces hommes détenant le savoir des traditions marquisiennes. Ce sont d’ailleurs eux qui, en se rapprochant des anciens, ont redécouvert les onze danses marquisiennes parmi les 72 existantes.

Siméon est fier de la production de ses danseurs, il n’est pas le seul. « Je tiens à remercier et à féliciter tout le monde pour son investissement et son travail. C’était très beau ! ». Les mots du président Varii devant la troupe lors du débriefing sous le préau du Centre, font couler des larmes parmi les artistes. Malgré quelques imperfections, mener jusqu’au bout leur spectacle au Matavaa a été une belle aventure humaine et culturelle.

A la recherche du passé

Le festival est terminé, mais la redécouverte de la culture et des ancêtres continue. Humu Kaimuko, président du Comothe mais aussi guide reconnu de Hiva Oa, son île natale, a réservé une visite surprise aux artistes de Taki Toa. L’homme connaît parfaitement les vallées, les sites archéologiques, tous les trésors de l’île. Et il  souhaite partager ces trésors avec ses « frères » qu’il embarque dans son pick-up. Un premier arrêt à l’ancien cimetière protestant d’Atuona, fermé en 1880 faute de places ; dans une des tombes encore ouverte en forme de petit châtelet se trouve des os. Selon Humu Kaimuko, ils appartiendraient à leurs ancêtres. « C’est impressionnant. On sait de quand ils datent ? » s’interroge Teiki l’un des danseurs, un collier en os autour du cou, l’accessoire indispensable aux guerriers. Il a sculpté son collier à partir d’un os de bœuf, parfois il utilise du cochon. Ces os sont généralement le butin d’une partie de chasse dans les vallées. Sur les hauteurs du cimetière, une tombe ornée d’un tiki surprend également les visiteurs. Le tiki est tourné vers le coucher du soleil. « On dit qu’il regarde la mort », explique Humu Kaimuko aux danseurs. Certains d’entre eux sont distraits, car attirés par les mangues, mûres et rafraichissantes dans cette chaleur ambiante, d’autres sont plus attentifs aux propos de leur « frère » et s’interrogent sur la date de la tombe encore inconnue.

Au bout du chemin, une autre belle surprise attend les Taki Toa. Sur ce site appelé Hihineva, on découvre ce qu’on nomme un paepae, une plate-forme quadrangulaire qui pouvait recevoir une structure d’habitation. Sur celle-ci, un espace rectangulaire avec d’un dossier : il s’agit de la place du garde qui, autrefois, surveillait la montagne. Mais qu’observait-il ? Que surveillait-il ?« Les 18 cascades qu’on peut voir lorsqu’il pleut. Pourquoi ? car l’eau est le symbole de la vie ». Les artistes de Taki Toa sont impressionnés par le spectacle et la découverte d’une partie de leur histoire et de leurs traditions. C’est cela aussi toute la magie du Matavaa …




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